Elodie Salin, secrétaire générale du Synofdes s’exprime dans un article publié par AEF info qui nous fait l’amitié de nous autoriser sa diffusion.
« Il y aurait un véritable paradoxe à concentrer l’effort de formation pour répondre à des besoins massifs et immédiats de compétences alors que les questions d’emploi et de compétences sont à envisager à moyen et long terme », estime la secrétaire générale du Synofdes, Élodie Salin, dans un entretien accordé à AEF info. À cette occasion, elle revient sur les ambitions de son organisation au travers du « plaidoyer » présenté fin avril. Une démarche qui vise aussi à promouvoir une réelle évaluation de la réforme de 2018 qui aille au-delà des seuls constats chiffrés. Une réforme dont elle reconnaît les succès mais qui l’interroge aussi sur un certain nombre de points tels que l’évolution du CPF vers des réponses à court terme ou les publics cibles de l’apprentissage. Elle appelle également au renforcement des prérogatives du Haut-commissariat aux Compétences.
AEFinfo : Quels objectifs poursuivez-vous avec la publication du « plaidoyer » dévoilé le 25 avril (lire sur AEF info)
Élodie Salin : En premier lieu, nous voulons préciser de manière très synthétique notre vision de la formation, dresser quelques constats et poser des propositions structurantes et traduisibles en actions concrètes et audibles par de nouveaux élus. Avec cette démarche, nous visons surtout les futurs députés et le nouveau gouvernement. J’espère que nous avons réussi à donner à notre manifeste une dimension suffisamment politique pour qu’il soit décryptable et utilisable par des personnes qui ne maîtrisent pas forcément le sujet.
Nous voulons aussi mettre en lumière le fait que la formation professionnelle est un secteur professionnel à part entière, avec des ambitions qui nécessitent que l’on s’interroge sur « comment en faire un secteur de pointe ». Nous sommes également un secteur qui sort d’une période compliquée. Nous avons des équipes qui ont beaucoup donné pendant le Covid, qui sont exténuées et cela dans un contexte où nous avons aussi un enjeu de fidélisation de nos salariés.
Enfin, nous souhaitons aussi bousculer un petit peu le satisfecit général que l’on entend sur la réforme de 2018. Aujourd’hui, il n’y a pas eu de véritable évaluation qui permette de mesurer l’impact de ses différentes dispositions alors que des milliards ont été engagés. L’évaluation devrait pourtant être perçue positivement. Il s’agit de mesurer les écarts qu’il peut y avoir entre les intentions d’un législateur et la manière dont les acteurs s’en emparent, mais aussi comment ces investissements massifs impactent les individus. Il est important d’engager ce processus d’évaluation dans une logique d’amélioration continue. On ne peut pas se contenter d’évaluer une politique publique au regard du nombre de CPF financés ou de l’explosion du nombre de contrats d’apprentissage.
AEF info : Quelles suites comptez-vous lui donner ?
Élodie Salin : Ce plaidoyer est un point de départ. Il s’agit pour nous de susciter des échanges. Nous plaidons depuis longtemps pour qu’il y ait plus de concertation, sur les territoires, au niveau national, avec les financeurs, avec les régions… Nous prolongeons cette action au travers de manifestations et rencontres organisées en région, que ce soit entre nos adhérents ou avec des acteurs du système. Nous voulons aussi que notre plaidoyer s’accompagne de regards d’experts et c’est pour cela que nous avons sollicité des spécialistes pour s’exprimer sur différents sujets liés à la formation professionnelle et à la dernière réforme. La matinée d’échanges que nous organisons à Paris le 10 juin s’inscrit dans cette logique de créer un espace qui permette de revisiter le contenu du plaidoyer et de la réforme.
AEF info : Y a-t-il des enjeux particuliers pour le champ de la formation professionnelle à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau gouvernement et à l’aube de ce nouveau quinquennat ?
Élodie Salin : Pour nous, le premier enjeu est qu’il y ait une prise de conscience du fait que la formation professionnelle est un secteur d’activité avec des entreprises qui ont besoin d’aide et de soutien à l’investissement et à la formation de leurs équipes. Il est nécessaire de maintenir un investissement fort en faveur de notre secteur pour accompagner sa transformation.
Sous l’angle des politiques publiques, nous avons une lecture critique de certains dispositifs qui ont été mis en place suite à la dernière réforme tout en reconnaissant qu’il y a aussi des éléments positifs. Nous avons toujours dit que le PIC a été un élément de régulation extrêmement positif pour renforcer l’accès à la formation des plus fragiles. Mais, par ailleurs, nous considérons que l’objectif premier de la « loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel » n’est pas atteint. En particulier, le CPF n’est pas un outil de mobilité sociale et professionnelle. Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas des choses intéressantes, notamment parce qu’il est important d’avoir une seule clé d’entrée sur les informations relatives à la formation professionnelle. En revanche, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour avoir en France une réelle possibilité de mobilité professionnelle. Le CEP est un premier élément positif, mais qui n’est pas suffisant. En outre, derrière le CPF, la question de l’encadrement des formations proposées est posée. Aujourd’hui, nous voyons bien que les deux éléments de clés que sont Qualiopi et les inscriptions au RNCP et au RS, n’ont pas permis de limiter les fraudes. Nous devons collectivement nous remettre autour de la table et interroger ce qu’est réellement la qualité d’une formation.
Nous sommes également un petit peu inquiets de la possibilité de voir le CPF se limiter aux actions à forte possibilité d’insertion dans un emploi. Qu’est-ce que cela signifierait pour l’évolution professionnelle des salariés ou même, plus largement, pour l’évolution des compétences du pays ? Cette question ne peut être envisagée sous le seul angle de l’insertion dans l’emploi. Il peut exister des emplois de niche tout aussi importants pour l’avenir que ceux qui constituent les grandes masses. De plus, la mobilité sociale doit rester un objectif en tant que tel. La formation ne peut pas être limitée à la seule formation professionnelle adéquationniste. La formation doit aussi répondre à une demande sociale. Il y aurait un véritable paradoxe à concentrer l’effort de formation pour répondre à des besoins massifs et immédiats de compétences alors que, nous le savons, les questions d’emploi et de compétences sont à envisager à moyen et long terme.
AEF info : Comment analysez-vous le succès quantitatif de l’apprentissage ?
Élodie Salin : Pour ce qui est de l’apprentissage, nous sommes bien évidemment favorables à son développement mais, puisqu’il doit y avoir régulation, nous pensons qu’il faut être réellement vigilants à ce que ce dispositif continue à profiter à ceux qui en ont le plus besoin. Les études ont tendance à montrer qu’il n’y a pas vraiment eu de renforcement de cette voie de formation en faveur des plus en difficulté. Globalement, il faut absolument être au clair sur les bénéficiaires des politiques publiques de formation professionnelle initiale ou continue. C’est d’autant plus vrai que nous sommes dans un contexte de reprise économique et de baisse du chômage qui peut être propice à l’accroissement des inégalités. Il y a donc une opportunité à réfléchir aux moyens pour réorienter les politiques publiques au bénéfice de ceux qui en ont le plus besoin mais, bien évidemment, sans oublier les efforts nécessaires à renforcer à destination des salariés.
AEF info : Les salariés ont un peu été les oubliés de la réforme de 2018…
Élodie Salin : Tout à fait. Le plan de développement des compétences a été grandement amputé par la réforme. Or, si l’ambition est de renforcer les compétences des individus et du pays, on ne peut pas faire l’impasse sur la formation et sur le renforcement des compétences des salariés.
AEF info : Quel bilan tirez-vous de l’appel à projets Deffinum (lire sur AEF info) et quelles sont vos attentes ?
Élodie Salin : L’élan porté par le Haut-commissariat aux Compétences en faveur de la transformation et de l’accompagnement de l’offre de formation est très important. Maintenant, le sujet est de savoir comment nous réussissons à mobiliser les petits organismes de formation. Nous connaissons les règles d’accès aux financements publics (cofinancement…), et beaucoup de nos adhérents sont parties prenantes de cet appel à projets, mais je crois qu’il faut que nous réussissions à inventer un accompagnement des plus petits. Peut-être que cela passe simplement par du financement de préprojet. Peut-être faudrait-il un appui ciblant les tout petits organismes de formation pour les aider à formaliser et à monter des projets.
Un deuxième levier d’amélioration pourrait concerner la manière d’impulser des coopérations sur les territoires, en lien bien sûr avec les régions. Pour aller encore plus loin sur l’accompagnement de la transformation de l’offre de formation, il faut encore plus activer ce levier de la collaboration. Certes, nous sommes dans un secteur concurrentiel, mais il est indispensable de développer cette dimension collaborative car tout le monde n’aura pas les moyens d’investir financièrement, en ressources humaines, en technologie… Il y a déjà beaucoup d’exemples de collaborations réussies dans notre secteur, ne serait-ce qu’avec les réponses aux marchés publics, mais il faut aller plus loin au moins pour rééquilibrer les forces entre les grands et les petits, ceux qui ont accès aux nouvelles technologies ou pas…
AEF info : Pensez-vous qu’il soit nécessaire, ou utile, que ce sujet de la formation professionnelle et du développement des compétences soit porté par un ministère délégué, un secrétariat d’État ou un Haut-commissariat comme cela a été le cas depuis cinq ans ?
Élodie Salin : Il ne faut surtout pas remettre en cause le Haut-commissariat aux Compétences. Nous souhaitons, au contraire, qu’il soit conforté, voire que son périmètre soit élargi. Pour augmenter son pouvoir d’agir, nous pensons qu’il faudrait que ce soit un secrétariat d’État ou un ministère délégué. Il faut absolument le pérenniser, mais en lui donnant encore plus de pouvoir et d’ampleur pour mieux accompagner et poursuivre tout le travail entamé avec le secteur et les acteurs de la formation.